La photogrammétrie

La photogrammétrie

Un modèle 3D des moraines du cirque de Blaitière, sur lequel j’ai travaillé pendant mon stage de M1

Introduction

Continuons sur notre lancée à propos des outils numériques et ajoutons un second article à cette catégorie. Je vais cette fois-ci parler d’une approche 3D de plus en plus utilisée dans de nombreux domaines, dont la géologie. En plus d’être très utile, la photogrammétrie permet d’obtenir de magnifiques rendus en 3D, à condition d’avoir un ordinateur qui tienne la route (un bon ordinateur gaming par exemple). J’ai notamment utilisé de la photogrammétrie couplée avec du SIG lors de mon stage de M1 sur des cirques glaciaires. Nous parlerons de cet exemple en deuxième partie de l’article, après avoir introduit un peu plus précisément le sujet. C’est parti !

Principe de base

Le principe de base de la photogrammétrie est très simple à comprendre : on génère une « image » 3D d’un objet à partir de plusieurs photographies. Pour cela, il faut prendre un grand nombre de photos de l’objet depuis des positions différentes. Il est essentiel que les photos aient un fort taux de recoupement. Cela signifie que deux photos consécutives doivent avoir une bonne partie de leur cadrage en commun. En effet, les logiciels utilisés pour faire de la photogrammétrie vont se baser sur des points homologues entre les différentes photos. Le logiciel va reconnaître des points communs à plusieurs photos afin de les replacer dans l’espace les unes par rapport aux autres. Plus le nombre de photos utilisé est important, plus la reconstitution 3D sera précise mais plus les calculs seront lourds à effectuer. Il est également possible d’optimiser les paramètres de l’appareil lors de la prise des photos pour améliorer la qualité du rendu. Ayant des connaissances quasiment nulles en photographie, je vais m’abstenir de me lancer dans des explications hasardeuses. Si vous n’y connaissez rien non plus, pas de panique : vous pouvez avoir un rendu tout à fait correct en prenant simplement des photos avec votre téléphone, sans utiliser de paramétrage particulier.

Voici un exemple simple : mon lit ! Ce sont quelques-unes des photos que j’ai utilisées pour créer un modèle 3D. J’ai d’abord pris des détails du lit avec un bon recoupement entre chaque photo avant de prendre plusieurs photos globales du lit

Il est possible de faire de la photogrammétrie avec tout et n’importe quoi : un paysage, un fossile, un objet ou un site archéologique, une figurine en plastique, une chaussure … Il existe également de nombreux logiciels pour faire de la photogrammétrie. Le plus utilisé et le plus performant est Agisoft Metashape. Ce logiciel coûte une véritable fortune (plusieurs milliers d’euros pour la version pro avec toutes les options). Il est le plus utilisé en milieu professionnel. Il existe cependant des logiciels gratuits qui vous permettront de vous essayer à la photogrammétrie sans hypothéquer votre maison : Meshlab et Meshroom par exemple.

L’utilisation de ces logiciels nécessite cependant la compréhension d’une toute petite base théorique. Il est en effet important de comprendre ce que l’on fait pour l’effectuer correctement. Vous pourrez ensuite trouver de nombreux tutoriels sur internet pour apprendre à utiliser l’interface des différents logiciels. Lorsque vous chargez des photos dans un logiciel de photogrammétrie, la première étape est toujours de lui faire rechercher des points homologues afin de replacer les photos dans l’espace les unes par rapport aux autres. Une fois cette étape passée, les logiciels vont en général pouvoir générer un nuage de points. Ce sont des « pixels » replacés dans l’espace qui crées un maillage correspondant à l’objet étudié. Ce maillage est ensuite souvent « densifié » en un « nuage dense », c’est-à-dire un nuage contenant encore plus de pixels. Ce maillage ultra serré va ensuite permettre de générer un « mesh », c’est-à-dire un objet numérique en 3D, avec une surface et un volume. La dernière étape consiste à texturer le mesh. Le logiciel utilise les photos pour appliquer une texture sur l’objet 3D. Voilà : vous avez créé un magnifique objet en 3D à partir de vos photos !

Et voilà le résultat : un modèle 3D de mon lit ! Bien sûr, le modèle n’est pas parfait et si certaines zones ne sont pas visibles sur suffisamment de photos, il comportera des « trous » que le logiciel ne sera pas arrivé à combler

Nous allons maintenant nous pencher sur un exemple d’utilisation de la photogrammétrie en sciences de la Terre. Si vous êtes curieux de découvrir d’autres utilisations de la photogrammétrie en sciences, vous pouvez aller voir le site de Fabrice Monna, un chercheur de l’université de Bourgogne qui utilise beaucoup de méthodes numériques dans ses recherches en géologie et archéologie (sur des sites archéologiques en Mongolie ou des sites avec des empreintes de dinosaures par exemple).

Exemple d’application à la géologie : érosion de moraines dans des cirques glaciaires

Nous allons à présent nous pencher sur l’utilisation que j’ai faite de la photogrammétrie durant mon stage de M1. J’ai effectué ce stage sous la tutelle de Jean-François Buoncristiani, enseignant chercheur à l’université de Bourgogne. Mon travail était centré sur des cirques glaciaires (c’est-à-dire une sorte de petite vallée creusée dans une montagne sous l’action d’un glacier) du massif du Mont-Blanc, au-dessus de la vallée de Chamonix. La photogrammétrie m’a permis de visualiser et de quantifier l’érosion qui avait eu lieu sur les moraines de ces cirques. Les moraines sont des dépôts sédimentaires constitués d’éléments déposés par le glacier. Ce sont des monticules de blocs rocheux et d’éléments fins situés en avant ou sur les côtés d’un glacier. Nous reviendrons plus en détail sur tout cela dans un article dédié aux glaciers. Concentrons-nous pour cette fois sur la méthode utilisée.

Nous avons étudié l’érosion des moraines entre les années 2012 et 2021. Nous disposions en effet d’un MNT (voir l’article précédent sur les SIG) et d’une orthophoto (c’est-à-dire une image aérienne géoréférencée) à 20 cm de précision datant de 2021, créés par l’IGN. Nous avons également récupéré des photos aériennes datant de 2012 à 20 cm de précision sur le site de l’IGN remonter le temps. Ces photos sont particulièrement adaptées à une utilisation en photogrammétrie puisqu’elles présentent un fort recoupement. Le logiciel Agisoft Metashape nous a ensuite permis de générer un MNT pour l’année 2012 à partir de ces photos.

Ces 5 photos aériennes à 20 cm de précision du site de l’IGN remonter le temps datant de 2012 m’ont permis de générer un MNT du cirque de Blaitière

Une fois les photos chargées dans le logiciel et les points homologues détectés, il faut géoréférencer les photos. Pour cela, j’ai créé une quarantaine de points de contrôle avec le logiciel de SIG Qgis sur des points remarquables des moraines (souvent de gros blocs) à partir de l’orthophoto de 2021. Une fois les points placés, on va en extraire les coordonnées en latitude, longitude et altitude grâce au MNT de 2021. Il faut bien entendu s’assurer au préalable que les blocs utilisés comme repère n’ont pas bougé entre 2012 et 2021 ! Les points de contrôle sont ensuite replacés manuellement sur les photos de 2012 dans Metashape. Il faut être très précis (au pixel près si l’on peut) afin d’obtenir le meilleur géoréférencement possible. Vous vous douterez que cette étape constitue la partie fastidieuse du travail. Une fois les points replacés sur les photos, puisque leurs coordonnées sont connues, une fonction de transformation pourra être appliquée afin de replacer le modèle dans l’espace. L’étape suivante consiste à générer un nuage de points dense. Enfin, il est possible de générer sur Metashape un MNT à partir du nuage dense. Nous avons pu générer des MNT qui avaient une résolution proche de celui de 2021. Le principal problème est le géoréférencement imparfait à l’origine d’un léger décalage en altitude entre les deux MNT. La qualité du géoréférencement est en effet limitée par la qualité des images utilisées et bien sûr par la précision de l’opérateur.

Ces deux MNT m’ont permis de comparer l’érosion ayant affecté les moraines entre 2012 et 2021. Celui de gauche a été généré par photogrammétries à partir des 5 photos ci-dessus. Celui de droite a été créé par l’IGN par Lidar (en utilisant un laser). Il est difficile de voir une différence entre les deux MNT à l’oeil nu car l’érosion n’a pas été concentrée sur une zone particulière pour ces moraines.

Bien me direz-vous, que fait-on une fois que l’on a nos MNT pour les années 2012 et 2021 ? Simplement la différence entre les deux ! En soustrayant le MNT de 2012 à celui de 2021 sur Qgis, on obtient un fichier raster qui donne la différence d’altitude entre les deux. Les zones aux valeurs négatives correspondent aux zones qui ont été érodées durant ces dix années ! Il est alors possible de calculer un volume érodé et de le diviser par la surface des moraines afin d’obtenir un taux d’érosion moyen pour les dix années. Le tour est joué ! Bien sûr, il existe une marge d’erreur sur les valeurs obtenues à cause de l’imprécision du géoréférencement. Cependant, l’ordre de grandeur de ces valeurs permet d’avoir une idée de l’érosion ayant affectée les moraines sur la période étudiée.

Voilà, nous allons en terminer ici pour cet article ! J’espère être parvenu à expliquer assez clairement les principes de la photogrammétrie ainsi que la méthode que nous avons utilisé durant mon stage. D’autres articles viendront s’ajouter à celui-ci pour expliquer d’autres méthodes numériques que j’ai utilisé durant ce stage. D’ici là, n’hésitez pas à essayer par vous-même de créer des modèles en 3D par photogrammétrie !

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