L’uranium

L’uranium

Minerai d’uranium (penchblende)
Source : wikimedia.org

Introduction

Parlons aujourd’hui d’un aspect de la géologie que je n’ai pas encore traité sur ce blog : les ressources minérales. L’utilisation massive de ressources minérales (métaux, énergies fossiles, pierres de construction, argiles, remblais …) se retrouve partout dans notre société (industrie, transport, construction, électronique …). L’exploitation de ces différentes ressources est permise par la compréhension et l’identification de leurs gisements, ceci grâce au travail des géologues. Si ces ressources sont indispensables à notre modèle de société actuel, leur extraction et leur utilisation massives ont bien souvent un impact très important sur l’environnement. Malgré cela, la demande va fortement augmenter dans les années à venir pour certaines de ces ressources (le lithium par exemple, avec le développement des voitures électriques).

Pour commencer, nous allons nous pencher sur une ressource minérale qui m’intéresse tout particulièrement : l’uranium. Le sujet de l’uranium est étroitement lié à celui du nucléaire (civil et militaire), que je trouve passionnant. Cette ressource est en effet principalement utilisée dans ce domaine, bien qu’elle ait d’autres usages possibles (imagerie médicale, colorant, tête de missile sur de l’armement conventionnel …). L’uranium sert donc principalement de combustible pour produire de l’électricité dans les centrales nucléaires à fission. Il sert également de combustible dans le domaine militaire pour les bombes atomiques ou les réacteurs de sous-marins et navires (le porte-avions Charles de Gaulle par exemple).

Présentons dans une suite de deux articles les principaux éléments à connaître à propos de l’uranium.

Les isotopes de l’uranium

Commençons par un petit rappel de chimie : les isotopes d’un élément sont les atomes dont le nombre de protons est identique (6 pour le carbone par exemple) mais dont le nombre de neutrons varie (6 pour le 12C, 8 pour le 14C par exemple).

L’uranium possède trois isotopes naturels, tous radioactifs :

234U, de demi-vie (temps nécessaire pour que la moitié des atomes d’un élément radioactif soient désintégrés) 245 000 ans

235U, de demi-vie 703,8 Ma

238U, de demi-vie 4,4688 Ga

Dans un minerai d’uranium, la proportion de chacun des isotopes est la même partout dans le monde à un instant t. Cette proportion varie au cours du temps du fait des désintégrations atomiques et des demi-vies variables selon les isotopes. Plus la demi-vie de l’isotope est faible, plus sa proportion par rapport aux autres isotopes va diminuer rapidement. Aujourd’hui, les proportions de chacun des isotopes dans les minerais d’uranium sont les suivants :

234U : 0,0055 %

235U : 0,7202 %

238U : 99, 2742 %

Sur ces isotopes, seul le 235U est fissile et donc utilisable dans une réaction de fission nucléaire (réaction ayant lieu dans les centrales nucléaires), qui va casser un noyau lourd pour former des éléments plus légers.

Actuellement, un seul endroit dans le monde ne « respecte » pas ces proportions : la mine d’uranium d’Oklo, au Gabon. Le minerai d’uranium est en effet appauvri en 235U. Pourquoi donc, me direz-vous ? Eh bien tout simplement car il y a environ 2 Ga, de l’uranium s’est retrouvé très fortement concentré dans cette zone (sachant que la proportion de 235U dans un minerai d’uranium était plus importante dans le passé). La concentration en uranium était telle qu’une réaction de fission nucléaire s’est enclenchée naturellement. C’est à ce jour le seul exemple connu de réacteur nucléaire naturel ! Je trouve ça complètement dingue. Une telle réaction en chaîne serait aujourd’hui impossible à l’état naturel à cause de la proportion trop faible en 235U dans les minerais d’uranium.

Economie de la ressource

Cette carte montre la répartition des réserves d’uranium connues et facilement extractibles par pays
Source : Uranium 2022, Resources, Production and Demand

Les ressources en uranium sont inégalement réparties à la surface du globe. Quelques états se partagent la majeur partie des réserves et de la production mondiales d’uranium. Les pays qui présentent les réserves les plus importantes sont l’Australie, le Kazakhstan et le Canada. Ces trois pays sont également les plus gros producteurs mondiaux d’uranium, Kazakhstan en tête depuis plusieurs années. D’autres pays ont également d’importantes réserves d’uranium et sont des producteurs d’ordre secondaire : la Russie, la Namibie, le Niger, la Chine … Dans les années à venir, la demande en uranium devrait se maintenir à un niveau équivalent à la demande actuelle, voir augmenter notamment du fait de l’important développement du parc nucléaire chinois.

Cette figure montre la production mondiale annuelle d’uranium par pays
Source : Uranium 2022, Resources, Production and Demand

Les gisements d’uranium

L’uranium est présent partout en trace et est relativement abondant dans la croûte terrestre. Il a la particularité de posséder une forme oxydée extrêmement soluble et une forme réduite extrêmement insoluble. Cela signifie que l’uranium est très facilement mobilisé dans les fluides (hydrothermaux par exemple) lorsqu’il est sous forme oxydée. En revanche, il va précipiter quasiment immédiatement en milieu réducteur. Cette particularité est bien souvent à l’origine de la formation des gisements d’uranium. Le principal minerai d’uranium est appelé uraninite ou pechblende, c’est un dioxyde d’uranium (UO2).

En France, l’uranium a été exploité jusqu’en 2001. Les principaux gisements se trouvent essentiellement dans les zones où les roches cristallines de la croûte terrestre (granites notamment) se situent en surface, c’est-à-dire principalement dans les résidus de l’ancienne chaîne hercynienne (Massif armoricain, Massif central, Vosges … Nous ferons un jour un article dédié à l’orogenèse hercynienne). Plusieurs mines ont notamment été exploitées dans le Limousin, dans l’ouest du Massif central.

Carte des principaux gisements miniers de France métropolitaine. Les gisements d’uranium sont représentés par des carrés blancs
Source : brgm.fr

Pour terminer cette première partie, nous allons parler un peu plus en détail de deux gisements d’uranium parmi les plus importants au monde : Olympic Dam (Australie) et le bassin d’Athabasca (Canada). Ces deux gisements se situent dans des roches très anciennes datées d’il y a environ 1,5 Ga (Mésoprotérozoïque).

D’abord, Olympic Dam. C’est un gisement polymétallique, c’est-à-dire que plusieurs métaux sont exploités au même endroit (oui, les Australiens ont beaucoup de ressources minérales et de grands déserts dans lesquels creuser pour les récupérer). La mine d’Olympic Dam est exploitée pour l’extraction d’or, d’argent, de cuivre et d’uranium. Malgré sa teneur en uranium très faible (0,04 %), ce site est tellement énorme qu’il constitue la plus importante réserve d’uranium du monde. Le gisement s’est formé il y a 1 500 Ma lors de la remontée d’un magma acide depuis les profondeurs du manteau. Ce magma a cristallisé lentement en profondeur, formant un granite dans lesquels ont ensuite circulés des fluides hydrothermaux. Des métaux ont été dissous et se sont concentrés dans ces fluides. Lorsque le granite et les fluides se sont refroidis, les métaux ont fini par précipiter, formant le gisement qui est actuellement exploité.

Une vue schématique en coupe du gisement polymétallique d’Olympic Dam, en Australie. Le complexe magmatique a été bréchifié (altéré) par la circulation de fluides hydrothermaux riches en éléments métalliques
Source : wikimedia.org

Enfin, le gisement du bassin d’Athabasca, au Canada. A l’inverse de celui d’Olympic Dam, sa teneur en uranium est exceptionnellement haute (24 %). L’uranium est tellement concentré que tout le processus d’extraction a dû être automatisé afin de protéger les mineurs des radiations. L’origine de ce gisement est différente de celui d’Olympic Dam. Il y a 1 500 Ma, une grande partie des masses continentales était regroupée au sein du supercontinent Columbia. Des roches granitiques affleurant en surface de ce continent ont été érodées. L’uranium contenu en élément trace dans ces granites s’est alors retrouvé dissous en solution dans les eaux de surface et des sédiments superficiels. Au niveau de discordances stratigraphiques (des failles), les fluides ont été mis en contact avec des milieux réducteurs (du graphite notamment), ce qui a provoqué la précipitation du minerai d’uranium.

Schéma explicatif d’un gisement dit « sous discordance » tel que celui du bassin d’Athabasca, au Canada. Une faille permet la mise en contact de fluides riches en uranium dissous avec un milieu réducteur qui va provoquer la précipitation de minerai d’uranium
Source : la Terre et la Vie, Anne Nédélec (excellent livre que je vous conseille fortement)

Nous allons nous arrêter pour cette première partie concernant l’uranium. La prochaine fois, nous parlerons des méthodes d’extraction du minerai, de son traitement et de l’enrichissement de l’uranium avant de nous pencher rapidement sur le principe de fonctionnement d’une centrale nucléaire à fission.

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