Sévérité des extinctions de masse
Introduction
Cet article de paléontologie est un peu particulier puisque je vais vous présenter un travail de synthèse bibliographique que j’ai effectué durant mon année de licence 3 à Dijon. Le but de l’exercice était de trouver un tuteur parmi les chercheurs en sciences de la Terre et de l’environnement de la fac. Ce tuteur devait alors nous fournir un sujet et des articles scientifiques afin que nous rédigions un mini-mémoire de synthèse de six pages. Mon projet étant de me spécialiser en paléontologie et étant particulièrement intéressé par les événements d’extinction de masse survenus au cours de l’histoire du vivant, j’ai demandé au paléontologue Arnaud Brayard d’être mon tuteur. Voici un lien vers son site internet pour appréhender ses sujets de recherche.
L’intitulé de mon sujet de synthèse était “Mesures de la sévérité et de la sélectivité des extinctions de masse phanérozoïques”. Pas d’inquiétude, ce titre quelque peu indigeste vous paraîtra plus clair (je l’espère) après quelques explications. Cet article sera divisé en deux parties, auxquelles j’ajouterai un lien vers mon mini-mémoire complet (je connaitrai la note qu’il m’a valu courant juin) ainsi que la bibliographie d’articles scientifiques qui m’a permis de le rédiger. Nous sommes partis pour parler d’extinctions de masse.
Présentation du sujet
Commençons par une présentation générale de ce qu’est une extinction de masse. Une extinction de masse, ou crise biologique, correspond à un événement global, bref à l’échelle des temps géologiques, durant lequel un grand nombre d’espèces vivantes disparait. Les extinctions de masse sont souvent causées par une combinaison de multiples facteurs : éruptions massives (mise en place de trapps), changements climatiques et environnementaux (glaciations, variations du niveau des mers …) et bien sûr impact d’astéroïde. Différentes combinaisons sont possibles et les différents facteurs mis en cause varient pour chaque événement. Ces différents épisodes d’extinction de masse sont des événements majeurs dans l’histoire de la vie sur Terre. Ils constituent des phénomènes évolutifs rapides et importants. La disparition d’un très grand nombre d’espèces est en générale suivie d’une rediversification et/ou d’une réorganisation importante du vivant. Durant le Phanérozoïque (l’éon de l’histoire de la Terre débuté il y a 540 Ma par le Cambrien, voir les articles sur l’échelle des temps géologiques), la Terre a connu plusieurs événements d’extinction de masse. D’autres sont certainement survenus avant cet éon à des époques où la vie était uniquement unicellulaire et n’ont donc pas laissé de traces dans le registre fossile. Les cinq plus importantes, connues sous le nom d’extinctions du Big Five, sont les suivantes :
– la crise fin-Ordovicien : – 445 Ma environ
– la crise fin-Dévonien : – 360 Ma environ
– la crise Permien-Trias : -250 Ma environ
– la crise Trias-Jurassique : – 200 Ma environ
– la crise Crétacé-Paléogène : -66 Ma environ
Mon sujet visait à comprendre et à résumer quelles sont les principales méthodes utilisées afin de mesurer la sévérité et la sélectivité des extinctions de masse. Laissons la notion de sélectivité pour une autre fois et concentrons-nous sur celle de sévérité. La sévérité d’un extinction de masse permet de mieux comprendre quel a été son impact sur le vivant et de dresser des classements des extinctions de masse les plus sévères du Phanérozoïque.
Si les événements d’extinction de masse ont été repérés par les paléontologues dès le XIXème siècle, les principales études centrées sur ces épisodes datent de la seconde moitié du XXème siècles. Elles ont notamment été menées par les paléontologues américains J. John Sepkoski et David M. Raup. De nombreux chercheurs s’intéressent aujourd’hui à la sévérité des extinctions de masse et de nouveaux classements, de nouvelles méthodologies et de nouvelles approches sont proposées.
L’étude de la richesse taxinomique
La richesse taxinomique correspond au nombre de taxons connus à un instant t (pour une zone étudiée ou même pour le monde entier). Un taxon est une unité de classification du vivant. La classification du vivant comprend différent rangs taxinomiques, dont voici les principaux (du plus large au plus restreint) : règne, embranchement, classe, ordre, famille, genre, espèce. La notion de richesse taxinomique est à différencier de celle de diversité taxinomique, qui prend en compte le nombre de taxons mais également les abondances relatives de chacun des taxons.
La richesse taxinomique est une notion fondamentale pour l’étude des extinctions de masse. Le registre fossile permet en effet d’identifier des épisodes de forte diminution de cette richesse taxinomique. Ces épisodes de chute de la richesse taxinomique ont été identifiés dès le XIXème siècle et se visualisent très bien sur des courbes montrant l’évolution de cette richesse taxinomique au cours du Phanérozoïque. Ce genre de courbe a notamment été tracé par Raup et Sepkoski dans les années 1970 – 1980, en se basant principalement sur le registre fossile des vertébrés et/ou des invertébrés marins (les sédiments marins étant les plus abondants à la surface de la Terre). Il est possible de tracer ce genre de courbe pour différents rangs taxinomiques : le nombre de familles ou le nombre de genres au cours du temps par exemple.
Ce décompte de la richesse taxinomique au cours des temps géologiques a donc permis d’identifier des épisodes durant lesquels cette richesse diminuait fortement. Les cinq périodes de diminution les plus marquées sur la plupart des courbes sont bien entendu les crises du Big Five. Grâce à ces études de la richesse taxinomique, Raup et Sepkoski se sont ensuite penchés spécifiquement sur les extinctions de masse en elles-mêmes. Nous verrons dans la suite de cet article que plusieurs calculs permettent d’estimer la sévérité des extinctions de masse et de les classer en se basant sur la richesse taxinomique. Nous verrons également que ce n’est pas la seule approche possible pour estimer et comparer la sévérité des extinctions de masse du Phanérozoïque.