Faunes fossiles de Chilhac et Senèze

Faunes fossiles de Chilhac et Senèze

Quelques-uns des fossiles de mammouths méridionaux visibles dans le musée de Chilhac
Source : leprogres.fr

Introduction

Pour cet article, nous allons nous rendre dans ma Haute-Loire natale. Non contente d’être une région au patrimoine volcanique remarquable, l’Auvergne est également riche en fossiles ! Si l’on retrouve quelques zones de sédiments anciens, datant par exemple du Carbonifère, exploités pour leurs gisements de charbon, la plupart des roches sédimentaires d’Auvergne sont beaucoup plus récentes et datent du Cénozoïque. La Haute-Loire est par exemple connue pour ses sites fossilifères datés d’entre 3 Ma à quelques dizaines de milliers d’années. C’est le cas des sites de Chilhac et de Senèze (commune de Domeyrat), qui sont tous deux datés d’environ 2 Ma. Cette période est marquée par la transition entre les Systèmes du Néogène et du Quaternaire et l’arrivée progressive des cycles de glaciation. Les fossiles retrouvés sont particulièrement impressionnants (mammouths, mastodontes, grands cerfs, tigres à dents de sabre …).

Nous commencerons dans cet article par présenter le contexte géologique (volcanique bien évidemment) et paléoenvironnemental d’il y a 2 Ma puis nous présenterons les deux sites de Chilhac et Senèze. Aventurons-nous dans une Haute-Loire bien différente de celle que nous connaissons aujourd’hui !

Contexte : le volcanisme du Devès et le paléoenvironnement

Il y a 2 Ma, l’Auvergne connaît un volcanisme intense. Dans l’actuel département du Puy-de-Dôme, le stratovolcan des Monts-Dore est en pleine activité. La Haute-Loire n’est pas en reste avec l’édification du massif du Devès. Ce massif de l’ouest du département est un vaste plateau basaltique formé par de nombreuses éruptions monogéniques. On retrouve principalement deux sortes de structures volcaniques dans le Devès. Les premières sont des cones de scories, à l’origine d’éruptions stromboliennes émettant de grandes coulées de lave fluide. Les secondes sont des cratères de maar, formés par des éruptions phréato-magmatiques (une puissante explosion est générée par la rencontre entre le magma remontant des profondeurs et une nappe d’eau souterraine). Beaucoup de ces cratères de maars, aux jolies formes circulaires, sont (ou ont été, cela a son importance) occupés par des lacs. Un exemple bien connu est celui du lac du Bouchet. Les nombreuses coulées de lave mises en place dans le Devès sont parfois à l’origine de magnifiques formations telles que des orgues basaltiques. Ces remarquables structures apparaissent lors du refroidissement progressif d’une coulée épaisse. En se solidifiant, la lave voit son volume diminuer : la roche se fracture selon des formes polygonales, perpendiculairement au sens d’écoulement. Les orgues basaltiques de Chilhac, justement, sont magnifiques. Elles forment une falaise surplombant l’Allier, sur laquelle a été bâti le village médiéval.

Les magnifiques orgues basaltiques du village de Chilhac

Cette importante activité volcanique se déroule dans un cadre bien different de celui que l’on connaît actuellement. Il y a 2 Ma, le climat est plus chaud qu’actuellement en Europe. En Haute-Loire, durant cette période, une transition a lieu entre des paysages de forêts chaudes et humides et des paysages plus dégagés et plus arides de savane. On rencontre alors des environnements semblables à ceux que l’on peut observer actuellement en Afrique. Une mégafaune remontant d’Afrique parvient alors jusqu’en Haute-Loire et cohabite avec des animaux plus typiques des milieux de forêts que l’on peut encore rencontrer de nos jours.

Le site de Chilhac

Les deux sites de Chilhac et de Senèze sont distants d’une quinzaine de kilomètres. Chilhac est le plus ancien des deux. Son âge a pu être daté de manière assez précise. En effet, la couche sédimentaire contentant la faune fossile est encadrée stratigraphiquement par deux coulées de lave. Ce genre de cas est particulièrement intéressant car les roches volcaniques peuvent être datées par des méthodes radiochronologiques (le principe est rapidement abordé dans l’article sur l’échelle des temps géologiques, nous reviendrons sur les différentes méthodes existantes dans un article à venir) grâce aux éléments traces radioactifs qu’elles contiennent. Le site fossilifère de Chilhac est donc daté d’entre 2,3 et 2 Ma. Il a d’ailleurs été formé par activité volcanique : les animaux de Chilhac sont probablement morts lors d’un épisode volcanique explosif (dégageant des cendres et des gaz) qui a tué les animaux et permis leur enfouissement puis leur conservation.

Les premiers fossiles ont été découverts à la fin du XIXème siècle (cela a été rapporté par le maire de l’époque). Les premières fouilles d’envergure n’ont cependant eu lieu qu’à la fin des années 1960. Elles ont été menées par les paléontologues de Poitiers jusque dans les années 1990 (principalement par Christian Guth et Odile Bœuf). Une faune très complète est alors mise à jour. Une quinzaine d’espèces de mammifères et quelques espèces d’oiseaux ont été extraites de la roche. Depuis la fin des années 1980, les plus beaux fossiles découverts sont exposés dans un musée communal, que je ne peux que vous conseiller d’aller visiter. Vous pourrez y admirer les restes de nombreuses espèces de mammifères et notamment d’énormes proboscidiens, les stars de Chilhac : les mammouths méridionaux (Mammuthus meridionalis) et les mastodontes d’Auvergne (Anancus Arvenensis). Vous pourrez également découvrir plus en détail l’histoire du site et de sa faune.

Sculpture représentant un mastodonte d’Auvergne exposée au musée Crozatier du Puy-en-Velay
Source : musee.patrimoine.lepuyenvelay.fr

Là réside la principale particularité de ce site : on y retrouve une faune typique de milieux forestiers (mastodontes, cervidés …) et une faune de savane remontant d’Afrique (mammouths, hyènes, chevaux, rhinocéros …). Cela illustre parfaitement le changement d’environnement observé à cette époque : les dernières populations de mastodontes (adaptés à des milieux forestiers) ont un temps cohabité avec les premières populations de mammouths (adaptés à la savane).

Le site de Senèze

Le second site, celui de Senèze, est un peu plus récent (environ 2 Ma). La fossilisation des animaux de Senèze est également due au contexte volcanique. Le site correspond en effet à un ancien cratère de maar dans lequel un paléolac s’était développé. Un grand nombre d’animaux morts sur les rives du lac ont alors été recouverts par les sédiments lacustres et conservés jusqu’à nos jours.

Comme pour Chilhac, les premières découvertes de fossiles ont été faites à la fin du XIXème siècle, de manière fortuite, par des paysans retournant leurs champs. Une figure très importante dans l’histoire du site fossilifère de Senèze est d’ailleurs un agriculteur du village : Pierre Philis. Cet homme s’était pris de passion pour les fossiles qu’il découvrait régulièrement sur ses terres pendant la première moitié du XXème siècle. Avec le temps, il devint un chasseur de fossiles habile. Il échangeait une correspondance importante avec les paléontologues de Lyon et de Bâle, qui lui achetaient les fossiles qu’il découvrait à Senèze et sur d’autres sites auvergnats. Plusieurs espèces de Senèze ont d’ailleurs été nommées en son honneur : Cervus Philisi par exemple, un petit cervidé. Pour connaître plus précisément son histoire, je vous invite à lire le passionnant article de Martine Faure (paléontologue de Lyon ayant fouillé à Senèze durant les années 2000). La plupart des fossiles de Senèze se trouvent donc dans les collections lyonnaises et baloises. Quelques fossiles sont également visibles dans la galerie de paléontologie du muséum d’histoire naturelle de Paris.

Quelques-uns des fossiles de Senèze exposés dans la galerie de paléontologie du muséum d’histoire naturelle de Paris. Les deux crânes sont sont ceux d’un Eucladoceros senezensis et de Paradolichopithecus arvernensis (désolé pour la qualité moyenne de la photo il y a un peu des relfets de partout)

La faune de Senèze est assez semblable à celle de Chilhac. Certaines espèces sont d’ailleurs communes aux deux sites : les mammouths, les chevaux, les cervidés (notamment Cervus Philisi dont un spécimen exceptionnel se trouve à l’étage du musée de Chilhac et Eucladoceros senezensis, un cerf géant) … Comme pour Chilhac, une quinzaine d’espèces de mammifères, ainsi que des poissons ont été retrouvés à Senèze. Une des singularités du site repose sur la découverte d’un primate (apparenté au groupe des macaques), Paradolichopithecus arvernensis.

Pour terminer en beauté, une photo du squelette de mammouth méridional exposé dans la galerie de paléontologie. La photo n’est pas de moi car le squelette était en restauration lors de ma visite au museum (tristesse)
Source : wikimedia.org

Nous en resterons là pour cette rapide présentation de ces deux sites fossilifères majeurs de Haute-Loire. Si le sujet vous a intéressé, je réitère mon invitation à vous rendre à Chilhac pour visiter le village et son musée ainsi qu’à découvrir l’histoire de Pierre Philis. A bientôt pour un prochain article !

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