Sévérité des extinctions de masse (suite)

Sévérité des extinctions de masse (suite)

Petite illustration bien clichée pour introduire un sujet sur les extinctions de masse
Source : newscientist.com

Introduction

Nous voici de retour pour terminer ce que nous avions commencé au mois de juin, à savoir nous intéresser à la sévérité des extinctions de masse du Phanérozoïque. Je vous conseille donc d’avoir lu le premier article sur ce sujet avant de vous pencher sur celui-ci.

Après avoir défini ce qu’était une extinction de masse, nous nous étions concentrés sur l’évolution de la richesse taxinomique au cours du temps. Nous allons à présent voir quelques calculs qu’il est possible d’effectuer pour lier l’évolution de cette richesse taxinomique à la sévérité des extinctions de masse. Nous verrons ensuite que d’autres approches sont possibles pour estimer la sévérité d’une crise biologique. C’est parti !

Calculs de la sévérité taxinomique des extinctions de masse

Le calcul le plus simple et le plus intuitif à effectuer est celui de la proportion de taxons disparus. Il suffit de compter la richesse taxinomique d’un rang choisi (ordre, famille …) avant et après la crise. Il est alors très facile de calculer une proportion de taxons disparus lors de la crise (exprimé en pourcentage par exemple). Ce calcul effectué pour chacune des crises étudiées (celles du Big Five par exemple), il devient possible de classer ces différentes crises selon le pourcentage de taxons disparus pour chaque crise.

Un autre calcul simple à effectuer est celui du taux d’extinction. Le taux d’extinction correspond au nombre de taxons qui disparaissent par unité de temps (par million d’années par exemple). Pour effectuer ce calcul, il suffit de compter le nombre de taxons qui ont disparu pendant un étage chronostratigraphique (un étage de l’échelle des temps géologiques) et de diviser ce nombre par la durée de l’étage. Ce calcul permet également de repérer les périodes de grandes crises grâce à un taux d’extinction particulièrement élevé qui se distingue du taux “habituel” d’extinction des espèces.

Cette figure représente le taux d’extinction durant le Phanérozoïque calculé par Raup et Sepkoski en 1982. Un point correspond au taux d’extinction pour un étage chronostratigraphique. La droite continue représente le taux d’extinction moyen (qui diminue légèrement au cours du temps), les droites en pointillés représente l’intervalle de confiance à 95%. Cinq périodes au taux d’extinction particulièrement élevé se distinguent, correspondant aux cinq crises du Big Five
Source : d’après Raup et Sepkoski, 1982

Il est possible d’appliquer ces calculs pour des rangs taxinomiques assez élevés (ordre, famille …) car nous en avons une connaissance relativement étendue dans le registre fossile. En revanche, notre connaissance des rangs taxinomiques inférieurs (genre et espèce) sont beaucoup plus parcellaires puisqu’une très faible proportion des êtres vivants se retrouvent fossilisés après leur mort. Le taux d’extinction ou le pourcentage d’espèces disparues sont alors estimés mathématiquement à partir des calculs effectués sur les rangs taxinomiques supérieurs (je ne détaillerai pas ici les méthodes utilisées pour abréger et car je n’ai moi-même pas pris le temps de tout bien comprendre).

Une autre approche : la sévérité des extinctions de masse d’un point de vue écologique

Intéressons-nous à présent à une autre approche permettant de considérer la sévérité d’une extinction de masse. Cette approche ne considère pas l’impact de la crise sur la richesse taxinomique mais son impact écologique. On cherche ici à évaluer l’effet de la crise sur les écosystèmes et leur organisation. Une crise biologique peut avoir différents effets sur les écosystèmes. Des écosystèmes peu impactés verrons leur organisation conservée, les mêmes types d’organismes se rediversifier et conserver leurs niches écologiques après la crise. Des écosystèmes très fortement impactés verront de nouveaux types d’organismes se diversifier et une nouvelle organisation se créer, voir peuvent complètement disparaître.

Afin d’évaluer la sévérité écologique d’une extinction de masse, certains chercheurs ont proposé des échelles de mesure permettant de graduer la sévérité écologique de l’épisode d’extinction grâce à différents indices identifiables dans le registre fossiles. Il ne s’agit donc plus d’un simple calcul mais d’identifier quels-ont été les effets de la crise sur les écosystèmes. Comme pour la sévérité taxinomique, il devient alors possible de classer les différents épisodes d’extinction de masse selon leur sévérité écologique. Plus on retrouvera d’indices d’un niveau d’impact élevé, plus la crise sera considérée comme sévère d’un point de vue écologique.

Ce tableau présente une échelle de mesure de la sévérité écologique d’une extinction de masse. Chaque niveau correspond à un type d’impact plus ou moins important, identifiable grâce à des indices particuliers dont quelques exemples sont donnés
Source : d’après McGhee et al., 2013

Comparaison entre la sévérité taxinomique et la sévérité écologique

Une chose très intéressante à faire est alors de comparer les classements de la sévérité des extinctions de masse obtenus grâce aux deux approches. On observe alors un découplage entre sévérité taxinomique et sévérité écologique. Cela signifie que les crises les plus sévères d’un point de vue de la richesse taxinomique ne sont pas forcément les crises les plus sévères d’un point de vue écologique et inversement !

Tableau de comparaison donnant le classement de la sévérité des principales extinctions de masse du Phanérozoïque selon les deux approches présentées (crises du Big Five et quelques autres)
Source : d’après McGhee et al., 2013

Prenons deux exemples de crises du Big Five, que l’on retrouve dans le tableau ci-dessus. La crise de la fin de l’Ordovicien est classée troisième en terme de sévérité taxinomique. Elle se retrouve par contre “seulement” septième dans le classement de la sévérité écologique. Cela pourrait signifier que de très nombreuses espèces ont disparu lors de cette crise mais que les écosystèmes ont conservé une organisation semblable et que les mêmes types d’organismes se sont rediversifiés après la crise.

A l’inverse, la crise Crétacé-Paléogène, la plus connue de toute, qui a vu la disparition des dinosaures non-aviens, a eu un impact sur la richesse taxinomique assez “mesuré” (elle est classée cinquième de ce point de vue là) mais un impact écologique très important puisqu’elle se classe deuxième.

Enfin, il est à noter que la crise Permien-Trias est quant à elle considérée comme la plus sévère du Phanérozoïque et ce quel que soit l’approche considérée (ça rigolait pas à la fin du Permien).

Conclusion et sources

J’espère ne pas avoir été trop indigeste sur ces deux articles traitant de la sévérité des extinctions de masse. C’est un sujet qui m’a beaucoup intéressé et que j’ai essayé de présenter rapidement dans ces deux articles. Il faut garder à l’esprit que ce que j’y raconte est particulièrement simplifié et résumé. Je retranscris ici ce que j’ai compris des articles qui m’ont servi de source dans le cadre de mon travail bibliographique de licence 3. Même si ce travail m’a valu une bonne note (fierté) grâce à l’aide précieuse de mon tuteur, il est probable que certains passages contiennent des approximations ou de trop grosses simplifications.

Si le sujet vous a intéressé, je laisse ci-dessous la bibliographie donnant les articles utilisées pour la rédaction de mon rapport ainsi qu’un lien vers ce rapport en PDF. A bientôt pour de nouveaux articles !

Alroy J. et al. 2008. “Phanerozoic trends in the global diversity of marine invertebrates”. Science. Vol. 321, n°5885, 97-100

Bambach R.K. et al. 2004. “Origination, extinction, and mass depletions of marine diversity”. Paleobiology. Vol. 30, n°4, 522-542

McGhee G.R. et al. 2013. “A new ecological-severity ranking of major Phanerozoic biodiversity crises”. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology. Vol. 370, 260-270

Payne, J. L. et al. 2016. “Extinction intensity, selectivity and their combined macroevolutionary influence in the fossil record”. Biology Letters. Vol. 12, n°10

Phillips J. 1860. Life on the Earth, its origin and succession. Cambridge. Macmillan and co.

Raup D.M. 1972. “Taxonomic diversity during the Phanerozoic”. Science. Vol. 177, n°4054, 1065-1071

Raup D.M. 1979. “Size of the permo-triassic bottleneck and its evolutionary implications”. Science. Vol. 206, n°4415, 217-218

Raup D.M. 1986. “Biological extinction in Earth history”. Science. Vol. 231, n°4745, 1528-1533

Raup D.M. et J. John Sepkoski. 1982. “Mass extinctions in the marine fossil record”. Science. Vol. 215, n°4539, 1501-1503

Sepkoski J.J. 1978. “A kinetic model of Phanerozoic taxonomic diversity”. Paleobiology. Vol. 4, n°3, 223-251

Sepkoski J.J. 1981. “A factor analytic description of the Phanerozoic marine fossil record”. Paleobiology. Vol. 7, n°1, 36-53

Sepkoski J.J. 1996. “Patterns of Phanerozoic extinction: a perspective from global data bases” in Global Events and Event Stratigraphy in the Phanerozoic. Berlin. Springer-Verlag. 35-51

Sepkoski J.J. 2001. “Mass extinctions, concept of” in Encyclopedia of biodiversity. Vol. 4. San Diego. Academic Press. 97-110

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